Les Bobos

A longueur de campagne présidentielle, on entend parler des bobos. Ils sont devenus l'ennemi, le grand Satan. Tout le monde emploie ce mot à tort et à travers. Quoiqu'il se passe, c'est de la faute aux bobos. J'ai fait pendant quelques temps l'exercice de lire systématiquement les commentaires sur les articles que je lis sur le net autour de sujets tels que l'élection présidentielle, l'économie, l'environnement, ... Il faut rarement attendre longtemps pour lire une sortie hargneuse qui met en cause les bobos.
Même Renaud, le chanteur qui me semblait à moi l'archétype du bobo tape dessus.

Alors, parce que je me sens visé par les attaques alors que je ne me reconnais pas forcément dans la définition, j'ai tenté d'y voir plus clair.

Définitions

J'ai cherché des définitions. Il n'en existe pas vraiment à part le bourgeois bohème (expression déjà utilisée dans Bel Ami de Maupassant en 1885). Le bobo se définirait par un archétype social : aisé financièrement (voire très aisé), urbain, diplômé, de gauche et écolo, mais aussi auto-centré, arrogant, méprisant, déconnecté des réalités, liberticide, et autoritaire dans sa volonté d'imposer sa vision au reste de la population.... D'après certains articles, les bobos seraient les descendants directs des yuppies des années 80-90.
Bon reprenons les bases, parce que là cela ne nous aide pas.

Bourgeois

Qu'est-ce qu'un bourgeois ? Au départ c'est quelqu'un qui habite le bourg, donc un urbain....facile. Le concept a très certainement évolué depuis cette définition historique. Au moment de la révolution française, la bourgeoisie décrit une frange de la population qui vient du tiers-état et qui s'est enrichi. Aujourd'hui, personne ne souhaite se qualifier de bourgeois, tant le mot est connoté de manière négative. A mon sens un bourgeois est quelqu'un qui a une certaine aisance financière, mais qui esr certainement aussi autocentré, et pour qui les valeurs de mérite, de travail, de propriété et de réussite sont importantes.
Au moment du débat du mariage pour tous, on m'a rapporté une réflexion : "Moi, on m'impose un débat dont je ne veux pas entendre parler, ce n'est pas mon problème.". Cela m'a paru extrêmement petit bourgeois comme réaction. D'autres que moi peuvent rencontrer des difficultés, et le rôle de l'Etat (et à nous tous aussi) est bien de s'occuper des problèmes de tous, pas que des miens... Non ?

Bohème

Définition wikipédia : La bohème est une façon de vivre au jour le jour dans la pauvreté mais aussi dans l’insouciance. Elle correspond à un mouvement littéraire et artistique du xix^e siècle, en marge du mouvement romantique plus « aristocratique ». C’est à la fois un style de vie qui rejette la domination bourgeoise et sa rationalité dans le cadre de la société industrielle, et la recherche d’un idéal artistique.

La définition me paraît assez juste pour que nous puissions avancer un cran plus loin.

Bourgeois Bohème = Bobo

Donc à agglomérer les deux, on aurait un personnage urbain qui par sa position sociale aurait les attributs d'un bourgeois mais qui manifeste un rejet de certains aspects de cette position : attachement à l'argent et à un certain confort matériel mais opposé au capitalisme, issu d'un milieu conventionnel mais en recherche d'ouverture en termes de culture et d'idées, issu du système qu'il rejette. Le bobo serait à la fois pragmatique et idéaliste. Un drôle de mélange, tout en contradiction, dans lequel je dois avouer me reconnaître. L'écriture de cet article me ferait-elle assumer mon statut de bobo ???

La catégorie Bobo

Bon alors, si le bobo est une catégorie de personnes alors soit catégorisons. J'imagine que à la question dans quelle catégorie êtes-vous, 95% des personnes interrogées répondraient "Mais moi je ne suis dans aucune catégorie, je suis juste normal.". Mais cela me paraît un chouilla facile de mettre les gens, tous les autres, dans une boite et de refuser de rentrer dans l'une d'elles.
Alors quelles pourraient être les autres catégories ?
Les fachos, les purs bourgeois, les parvenus, les prolos, les purs bohèmes, les réacs.
En voyez vous d'autres ? Dans quelle catégorie êtes-vous ? Pas facile, hein ? En effet, chacune de ces catégories trimbale un lot conséquent de connotations négatives.
Personnellement, je vois assez bien qui je peux mettre dans chacune de ces boites. ;-)

Les reproches faits aux bobos

Je vais tenter d'en faire une liste aussi complète que possible, mais il faudra certainement que je m'y reprenne à plusieurs fois.

"Les bobos veulent imposer leur façon de vivre aux autres, et sous prétexte de sauvegarder la nature sont liberticides"

J'ai même lu un commentaire qui disait : "Les bobos veulent imposer aux autres leur façon de vivre  par leur vote.". C'est trop bon, je vous avoue que j'ai du relire la phrase plusieurs fois. N'est-ce pas la démocratie ? N'est-ce pas ce que tout le monde fait ? Tout le monde en votant cherche à influencer le pays dans lequel il vit, du moins, là où c'est possible.

On a beaucoup entendu ça lors de la fermeture aux voitures des voies sur berges de Paris. Pour toute une frange de la population, il ne faut pas toucher à la voiture, qui est alors un symbole de liberté et parfois un marqueur social.

A propos des voitures, j'ai deux éléments à soumettre. 

Premièrement, je plains ces personnes dépendantes de leur voiture et espère de tout mon cœur pour eux que les solutions technologiques auront été trouvées pour remplacer le pétrole avant que le prix de celui-ci n'impose un plein à 500 €, Parce que la crise du prix de l'essence liée au pic pétrolier ne sera certainement pas causée par les bobos qui sont les premiers à réclamer qu'on fasse quelque chose sur le sujet avant qu'il ne soit trop tard.

Deuxièmement, nous partageons tous le même monde, la même eau, le même air, la même terre. Oui, je sais cela rappelle le discours de certains. Mais la pollution a un coût, qui est payé par la collectivité. De plus en plus d'études sortent des chiffres sur le sujet. Ceux-ci sont toujours décriés, et pour une bonne raison. En effet, le jour où le coût de la pollution est calculé de manière indiscutable et indiscutée, il est facile de répartir ces coûts sur les pollueurs.

Cela me rappelle un peu le débat sur le coût du ramassage d'ordures. J'en ai entendu râler qu'avant on ne payait pas et que c'était bien mieux. Avant en effet, le ramassage des ordures coûtait peu. On se contentait de glisser les trucs sous le tapis en fermant les yeux (oui ou dans des décharges si vous voulez). Dans la commune où j'habitais petit, la décharge était située juste 2 mètres au dessus du niveau de la nappe phréatique, alors oui je suis assez satisfait que la problématique des déchets soit prise en main par les pouvoirs publics, 

Laissez moi illustrer mon point de vue avec une autre image. Au tout début de l'automobile, il n'y avait pas de signalisation routière. Après, il a fallu en ajouter, c'est chiant, ça coûte cher à la collectivité et c'est liberticide... mais n'est-ce pas nécessaire ?

"Les bobos ne sont pas conscients que le monde est bien différent de ce qu'ils peuvent vivre"

Mais qui l'est vraiment ? Est-ce réellement une question de catégorie de personnes ou bien juste au cas par cas d'ouverture au monde qui nous entoure ? 

Chacun a sa réalité en fonction du contexte qui lui est propre. Ne juger de ce qui est bon qu'à partir de ceci est forcément trompeur. Comme il est trompeur de ne juger qu'à partir d'exemples. Il faut en effet savoir prendre de la hauteur.

Certains d'entre nous, bobos, sont confrontés de manière quasi quotidienne à la concurrence mondiale.

Prenons l'exemple des migrants. On entend dire : "Les bobos veulent tous les accueillir, ils ne se rendent pas compte des problèmes que cela pose." Ceux qui disent cela se rendent-ils compte des problèmes auxquels ont été confrontés ces personnes qui fuient la guerre, la pauvreté ou la dictature? Dans ce cas très précis, qui ne se rend pas compte que sa réalité n'est pas l'ensemble de la réalité ?

"Les bobos sont idéalistes mais leurs solutions seraient une catastrophe d'un point de vue économique"

Force est de constater que les solutions "bobos" n'ont pas encore été mises en place. Le libéralisme économique dominant n'est certainement pas dans les idéaux bobos. Ce que nous vivons est-il magnifique ? Je n'en suis pas certain. Les 8 personnes les plus riches du monde gagnent autant que la moitié la plus pauvre de l'humanité. Serait-ce une réussite ???

Voilà près de 30 ans qu'on vit dans un contexte de plus en plus libéral qui ne donne pas satisfaction (accroissement de la pauvreté, des inégalités, de la précarité, de la dette publique comme individuelle, dégradation de l'environnement, appauvrissement des ressources non renouvelables). Alors, elle est où la catastrophe économique ? 

"Les bobos ne sont pas cohérents dans les faits avec leurs idées"

Il est assez simple de trouver des incohérences chez à peu près tout le monde. Alors, oui les bobos n'échappent pas à la règle. Certains ont parfois des comportements qui ne sont pas écolos ou pas de gauche, cela m'arrive aussi parfois. J'en connais même assez peu qui en fonction des circonstances ne s'assoient jamais sur leurs principes. Pas vous ?

J'en oublie certainement beaucoup d'autres...

... mais ce que je souhaite exprimer par ces lignes c'est que les reproches faits à telle ou telle catégorie (ici les bobos) suivant sa condition sociale, son âge, ses préférences sexuelles, sa religion, sa couleur de peau ou sa pointure sont facilement démontables, vains, contre-productifs et nocifs.

Ne nous laissons pas embarquer dans les clivages

Même si certains leaders politiques adoreraient nous entraîner sur ce chemin, historiquement il n'en jamais rien sorti de bon. Il n'est pas question de dire que tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Mais si vous adressez un reproche à telle ou telle catégorie de la société, ce n'est pas que ce n'est pas une solution, c'est que vous à titre personnel vous faites partie du problème. Ce qui compte, ce sont les idées, un point c'est tout. Alors bien évidemment, toutes les idées ne sont pas bonnes, et on ne peut pas être d'accord sur toutes les idées. ET TANT MIEUX. c'est du débat que les idées s’affinent et se bonifient.

Ras le bol du "made in France" et du "France bashing"

Arrêtons les postures, revenons aux idées. Il n'y a que comme cela que nous nous en sortirons.
Dans mon métier, signaler un problème sans proposition de solution alternative est juste une faute professionnelle. La critique pour la critique est à mon sens une faute personnelle.

J'ajouterai aussi que de mon expérience de l'espèce humaine, j'ai retiré une conviction : Dans l'écrasante majorité des cas, ce qui nous énerve le plus chez les autres, ce sont les défauts que nous avons en nous et que nous avons le plus de mal à assumer. Pensez-y la prochaine fois que vous aurez un reproche à formuler, vous verrez, ça calme assez vite.

La situation est trop critique

à trop de points de vue pour que nous puissions nous permettre de ne pas être (redevenir ?) constructifs. La stigmatisation, et le clivage ne font pas à proprement parler de ce que j'entends par être constructif. Il est urgent de revenir au fond des choses.

Aucun angélisme ou idéalisme à cela

Ne vous y trompez pas, il n'y a là aucune utopie ou "bien pensance". Le problème n'est pas de savoir si juger d'une catégorie de personnes à partir des actes ou paroles de certains éléments de cette catégorie est moralement bien ou mal, c'est juste irrémédiablement et invariablement faux. C'est une erreur de raisonnement et c'est ainsi que les problématiques sont mal analysées et donc que les solutions trouvées tombent au mieux à côté.

Bobos ou pas bobos ?

Fachos, purs bourgeois, parvenus, prolos, purs bohèmes, réacs ? Franchement je m'en fous, vraiment. En revanche, les idées que vous défendez, ça, ça m'intéresse d'en débattre. Et un débat c'est défendre ses positions en les argumentant mais en acceptant que l'autre en face puisse avoir raison et vous convaincre.